Intervention à Berlin : #JamaisSansElles, le féminisme est un humanisme, par Tatiana F-Salomon

Tatiana F-Salomon, co-présidente de #JamaisSansElles était en Allemagne le 4 septembre à l’invitation de Michael Roth, Ministre allemand délégué aux Affaires européennes. Il s’est engagé avec #JamaisSansElles depuis plusieurs mois. Il a reçu Tatiana à Berlin en tant qu’invitée d’honneur de la Fête de l’Europe 2018 à la villa Borsig, résidence des hôtes du Ministère des Affaires étrangères. Voici le texte de son intervention.

 

Mieux vaut allumer une chandelle que maudire l’obscurité
— Lao Tseu

En paraphrasant Marguerite Yourcenar, je dirais que mes premières patries ont été les livres des poètes et philosophes allemands. Aussi loin que je me souvienne, les poèmes de Rilke, la pensée de Kant, Nietzsche et son Zarathoustra, Hölderlin, l’idéalisme transcendantal allemand en général, ont toujours été ma nourriture essentielle, ma patrie, et le demeurent aujourd’hui encore. Je tenais à le dire tout d’abord, car ma gratitude envers eux est immense.

Pour notre mouvement, #JamaisSansElles, le féminisme consiste non pas à combattre les hommes, au nom de la lutte contre l’oppression patriarcale, encore moins à revendiquer un leadership féminin. Nous sommes, avant d’être homme ou femme, des êtres humains libres et égaux en dignité et en droit.

#JamaisSansElles ne vise pas à obtenir des concession dans un jeu de pouvoir, ni à établir un rapport de force. Nous ne demandons ni grâce, ni faveur, mais la simple reconnaissance d’une légitimité pleine et entière.

Si nous aspirons à faire tomber le plafond de verre, ce n’est pas pour que les femmes prennent la place des hommes, mais pour qu’il apparaisse à tous parfaitement naturel, au nom de l’équité et des principes humains les plus élémentaires, que femmes et hommes prennent place côte à côte dans tous les domaines de la société, et participent conjointement à la gestion des affaires humaines.

C’est pourquoi nous disons que le féminisme est un humanisme ! Nous sommes fiers de clamer haut et fort notre héritage humaniste, qui affirme le droit de chacun à être considéré en tant qu’individu responsable de ses seuls actes, et non en fonction de sa naissance, de son genre ou de sa communauté d’origine.

#JamaisSansElles appelle non pas à une solidarité de genre, mais à une solidarité universelle, inclusive. Non pas à un règlement de comptes entre « les femmes » qui seraient victimes et « les hommes » qui seraient prédateurs, mais à une réconciliation de tous au nom de leur humanité commune, pour un partage équitable, digne et respectueux.

Si #JamaisSansElles se distingue d’autres mouvements féministes, c’est peut-être par l’implication directe des hommes. Il ne s’agit pas d’un combat de femmes pour les femmes.

Il est probable que le succès du mouvement doive beaucoup au poids symbolique de nombreux hommes qui s’y sont associés dès son lancement. Mais ce n’est jamais leur poids « en tant qu’hommes » qui s’y manifeste : la dynamique de #JamaisSansElles est celle de citoyens et de citoyennes qui refusent désormais de cautionner ce qui leur est devenu insupportable, des panels entièrement masculins, et tiennent à dire à quel point il est absurde à leur yeux de participer à des événements publics sur des enjeux sociétaux et humains, auxquels ne participeraient que des hommes.

Mais bien évidemment, le succès de l’appel #JamaisSansElles ne tient pas au seul poids de ces hommes qui le portent avec sincérité. De nombreuses personnalités féminines le promeuvent avec force, notamment au sein du Conseil féminin du mouvement, présidé par Laurence Parisot – personnalités qui peut-être ne se retrouvaient pas entièrement dans d’autres approches du problème, qui peuvent avoir tendance à mettre davantage l’accent sur les torts faits aux femmes, qu’aux actions simples et individuelles permettant de faire évoluer la situation. Ce dont nous sommes fiers, c’est de contribuer à faire évoluer la situation, non pas contre les hommes, mais avec leur concours.

Dès lors que l’égalité des chances et le respect de tous sont perçus comme un intérêt commun, ils peuvent devenir aussi un objectif commun. Et quand un objectif commun est visé par un nombre suffisant de citoyens sincères et de bonne volonté, comment pourrait-il ne pas trouver le chemin de sa réalisation ?

En l’occurrence, notre chemin a démarré au sein du monde numérique, avec un club de femmes influentes dans ce domaine, « Girl Power 3.0« , que j’ai co-fondé avec Natacha Quester-Séméon en 2006, et ensuite un « Club des Gentlemen« , que j’ai co-fondé en 2015 avec Guy Mamou-Mani et Xavier Alberti, réunissant diverses personnalités du monde numérique. C’est au sein de ce club qu’a germé l’idée de #JamaisSansElles, qui a débouché sur un appel lancé le 20 janvier 2016, par lequel les signataires s’engagent à refuser toute participation à des événements non mixtes.

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Cet appel a eu un fort retentissement, qui doit beaucoup à la puissance des réseaux, comme Twitter. Mais si ce succès nous a d’abord surpris, avec le recul, il est sans doute dû au fait que #JamaisSansElles aborde la problématique de la place des femmes dans la société de manière assez originale, avec un mode d’engagement particulier, peut-être nouveau. Ce mode d’action est à la fois facile d’accès — puisqu’il ne dépend pas d’une loi, ou de l’aboutissement d’une négociation soumise à un rapport de force, mais simplement de l’engagement de chacun individuellement, et du respect de cet engagement. Mais il est aussi exigeant, pour la même raison.
Or s’il est apparemment efficace, comme en témoigne peut-être notre présence ici, c’est que la sincérité des hommes qui ont répondu à l’appel, est réelle – ce dont je n’ai personnellement jamais douté.

C’est pourquoi nous nous réjouissons de l’engagement personnel de M. le Ministre Michael Roth, et je le remercie très chaleureusement de son invitation et de son accueil, mais peut-être plus encore d’avoir perçu l’esprit de #JamaisSansElles, qui reflète très probablement le sien propre, et qui tient en un mot : l’humanisme !

Dès la campagne présidentielle française, une Charte de gouvernance proposée par #JamaisSansElles a été signée par plusieurs candidats, dont Emmanuel Macron. Mais c’est une nouvelle étape, internationale, qui s’amorce ici, en Europe. Après l’engagement de la diplomatie française, par la voix et l’action des Ministres Jean-Yves Le Drian et Nathalie Loiseau, qui a conduit à l’engagement de nombreux ambassadeurs et consuls de France à travers le monde (dont l’Ambassadrice Anne-Marie Descôtes ici à Berlin), et concrétisée la semaine dernière encore à l’occasion de la Conférence des Ambassadeurs… et des Ambassadrices ! (également avec le concours de l’Association « Femmes et Diplomatie« ), nous sommes heureux et fiers, moi-même, mon co-président Guy Mamou-Mani et l’ensemble du Club de Gentlemen qui ont lancé le mouvement, de cet écho donné à notre mouvement grâce à vous, cher Michael, dans cette Allemagne qui est le plus heureux partenaire dont j’aurais pu rêver, à titre personnel.

Merci donc encore une fois pour votre engagement et votre belle humanité,

Vielen Dank!

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