Dans l’espace public, notamment dans les médias, les femmes sont peu visibles. Sur certains plateaux de télévision, elles sont même inexistantes, ce que trouve grotesque le journaliste Sylvain Attal, tribune publiée dans l’Express.
J’appartiens à une génération qui a découvert la mixité dans les petites classes de l’école élémentaire. C’était les années 60. J’étais au CE1 quand tout à coup, les filles ont débarqué. C’était un vrai bonheur! Même si on continuait la plupart du temps, à cet âge là, à jouer entre garçons. Cet événement a tout de même contribué à façonner ma personnalité. Je me souviens comme je plaignais ceux de mes camarades qui devaient rejoindre des écoles privées non-mixtes. Quelle tristesse!
Pour moi il n’y avait donc rien de plus naturel que d’adhérer dans l’instant à la proposition de Tatiana F-Salomon et de Guy Mamou-Mani lorsqu’ils proposèrent de lancer #JamaisSansElles en janvier dernier au cours d’un dîner très gai du Club des Gentlemen.
Ne plus dissimuler l’intelligence des femmes
Aujourd’hui, nous vivons une période de régression des droits des femmes. La pratique de la contraception recule, de moins en moins de médecins pratiquent des avortements et certains gynécologues ne peuvent plus recevoir leurs patientes en consultation sans la présence de leur mari. Et que dire des inégalités salariales à responsabilités égales, scandale qui perdure depuis des décennies; comme de l’insuffisante accession des femmes aux postes de responsabilité, y compris dans des professions qui se féminisent comme le journalisme?
Plus grave, des femmes de tous âges sont agressées parce qu’elles s’habillent trop légèrement au goût de certains. Comme cette jeune femme de 18 ans insultée et molestée à Toulon par 5 filles de son âge parce qu’elle portait un short.
Voyez la polémique sur le port du burkini, et surtout ce qu’il révèle. Tout comme la fréquence du port du niqab ou de vêtements couvrants, devenu pratiquement obligatoire pour se déplacer tranquillement dans certaines cités devenues des ghettos ethniques, etc. Il s’agit là d’une offensive redoutable pour rendre le corps des femmes invisible.
Avec #JamaisSansElles, nous ne parlons pas des corps.
Avec #JamaisSansElles, il s’agit d’une invitation à ne plus dissimuler l’intelligence des femmes. A l’école, jusqu’au lycée, les filles réussissent mieux que les garçons. Elles ont une meilleure capacité qu’eux à effectuer plusieurs tâches en même temps. Ça commence à se gâter à l’université où certaines filières, notamment scientifiques leur sont plus difficilement accessibles.
En général, les jeunes femmes se retrouvent davantage cantonnées dans des filières dont les métiers sont plus compatibles avec l’éducation des enfants. Bien souvent ce sont les moins bien rémunérés. Pourtant, il est maintenant établi que les entreprises dans lesquelles le management s’est féminisé réussissent mieux que les autres…Toujours est-il qu’à l’arrivée, il y a moins d’expertes que d’experts. Moins de décideuses que de décideurs.
Pas besoin de menacer de sanctions !
Pour avoir animé de nombreuses émissions de débat à la télévision, je sais qu’il est plus facile de faire des plateaux masculins -j’ai du moi-même en « commettre » pas mal. Mais aujourd’hui, la vue d’une docte assemblée uniquement masculine me paraît tout simplement… grotesque.
Comme beaucoup de journalistes, je n’aime pas qu’on entrave ma liberté. Mais je sais aussi à quel point le fait de se fixer certaines contraintes peut-être source de créativité. Un peu à l’image du « dogme » que se sont imposés volontairement certains réalisateurs de cinéma.
Aujourd’hui le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel invite les patrons de média à se rapprocher de la parité dans la constitution des plateaux d’émissions. Et brandit la menace de sanctions. C’est un peu triste. Je préférerais que les producteurs fassent preuve de responsabilité et que la profession s’autorégule. C’est aussi valable pour les « tables rondes » et colloques en tout genre.
Car il me paraît évident que les femmes ont une approche différente, souvent plus subtile et plus complexe des questions que nous abordons dans les médias. Nous y gagnerons, en contribuant à bâtir une société moins injuste, plus inclusive. En un mot: plus humaine. Et cela n’a rien à voir avec je ne sais quelle « discrimination positive ». Nous ne parlons pas ici d’une minorité dont il faudrait mieux défendre les droits mais, faut-il le rappeler, d’une moitié (plus epsilon) du genre humain.
De la parité aux primaires présidentielles
En ce qui me concerne, j’avoue même que, confronté à une décision à prendre, où même à une tâche à entreprendre, il m’arrive très souvent de faire davantage confiance à un jugement féminin. Je constate chaque jour qu’il est moins fréquemment dicté par le souci de la seule performance et à quel point la productivité des femmes est en moyenne bien supérieure à celle des hommes.
Le succès de l’initiative #JamaisSansElles m’a surpris. Je pensais qu’on ne verrait en nous qu’une bande de raseurs, donneurs de leçons, au mieux comme des types qui veulent se donner bonne conscience. Nous montrons que l’utilisation des réseaux sociaux et, plus largement, des possibilités offertes par la révolution numérique peu donner un extraordinaire coup d’accélérateur aux initiatives citoyennes, à l’heure ou le débat politique et l’absence de renouvellement de nos élites dirigeantes désolent une majorité de Français.
D’ores et déjà nous souhaitons que #JamaisSansElles s’applique aux primaires de la droite et du centre pour l’élection présidentielle. Le meilleur ne sera pas forcément une femme mais est-il concevable que cette compétition se déroule (comme d’ailleurs au PS) uniquement entre hommes? Avec elles, nous avons de l’avenir. Sans elles nous ne sommes que des nains impuissants!
Sylvain Attal, journaliste, directeur adjoint de France24 chargé des nouveaux médias et membre fondateur de #JamaisSansElles.
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