Forum de l’ONU pour la Gouvernance de l’Internet, Unesco, 14 novembre 2018
Open Forum : IGF2018 Envisaging the pillars of discussions for G20 in 2019, organisé par le Ministère des Affaires intérieures et des Communications du Japon avec le concours du Ministère des affaires étrangères de France.
Intervention d’Etienne Parizot, professeur d’université à Paris VII, et Natacha Quester-Séméon, entrepreneur, représentants de #JamaisSansElles, chef de la délégation française du Women 20.
Quel est votre message aux gouvernements des G20 et G7 et comment améliorer l’approche multipartite dans ces forums ?
Nous représentons l’association #JamaisSansElles. Elle a été fondée en Janvier 2016 par plusieurs acteurs majeurs de l’économie numérique et s’est rapidement développée en un mouvement très actif et à forte expansion, à l’origine via les médias sociaux, puis au-delà.
En un mot, #JamaisSansElles promeut la diversité de genre et l’inclusion des femmes dans tous les secteurs de la société, par une action très simple et très directe, ne nécessitant aucune réglementation particulière et pouvant être appliquée par quiconque, immédiatement : en signant la charte #JamaisSansElles, je m’engage à ne jamais prendre part à un panel, une conférence ou un comité d’experts si aucune femme n’y participe. C’est assez évident et élémentaire, mais cela s’est avéré remarquablement efficace et a encouragé les organisateurs d’événements ou de comités de toutes sortes à être attentifs à l’équilibre hommes-femmes. Et en fait, de nombreux acteurs importants du monde numérique, et au-delà, ont adopté l’engagement #JamaisSansElles et l’ont promu dans leur environnement, avec des effets très concrets et durables. Le mouvement s’est ensuite étendu au monde politique rejoint par de nombreux députés et sénateurs. Et dans la mesure où les médias sociaux sont désormais très efficaces pour diffuser des images de groupes de discussion ou de tables rondes exclusivement masculines en leur associant le hashtag #JamaisSansElles, de tels engagements ne peuvent pas être seulement des mots. Cela doit être effectif : les citoyens veillent !
Un pas important a été l’engagement de la Diplomatie française auprès de #JamaisSansElles, lorsque le Ministre français des Affaires Étrangères, Jean-Yves Le Drian, et la ministre déléguée aux Affaires Européennes, Nathalie Loiseau, ont non seulement signé en leur nom et pour leur administration, mais ont également encouragé tous les ambassadeurs et les consuls de France à travers le monde à s’engager de même, ce qu’ils sont déjà nombreux à avoir fait. Ceci doit d’ailleurs beaucoup à David Martinon, en sa qualité d’Ambassadeur du Numérique pour la France. Et l’engagement s’étend également à l’étranger, notamment avec le Ministre allemand délégué aux Affaires Européennes, Michael Roth, qui est devenu un membre actif et un promoteur du mouvement ! Au cours de son développement, nos principales actions se sont étendues au-delà de la question de la visibilité des femmes, ce qui, à nouveau, va ou devrait aller tout simplement de soi, pour cibler également l’accès des femmes à des postes clés de leaders dans tous les types d’environnements.
Quoi qu’il en soit, nous sommes ici aujourd’hui parce que nous avons participé activement au processus du « Women 20 » en amont du sommet du G20 qui se tiendra dans deux semaines à Buenos Aires. Ce sont en fait les responsables argentines de ce Groupe d’Engagement qui nous y ont invités, pour travailler avec une centaine de déléguées issues des pays du G20, aux profils très différents. C’est donc bien de l’« interaction multi-composantes » en action qui s’est développée sur plusieurs mois, pour conduire in fine à une série de recommandations finalisées lors du Sommet du W20 à Buenos Aires le mois dernier, où Natacha et moi étions chefs de délégation pour la France. La principale chose que nous avons appris de ce processus est que les interactions multi-composantes sont fascinantes, mais surtout absolument essentielles pour aborder les problèmes touchant à des domaines quelque peu disruptifs – disruptifs au sens où ils interagissent avec l’organisation traditionnelle de la société, qu’il s’agisse du travail ou des relations entre les personnes, d’une manière qui offre des opportunités extraordinaires, mais qui comporte également des risques, des possibilités de déstabilisation et qui pourrait laisser certaines personnes sur le bord de la route.
C’est le cas pour les différentes questions relatives à l’inclusion des femmes, et c’est le cas également pour l’inclusion numérique. De fait, ces deux aspects s’avèrent n’être pas sans rapport. En effet, l’économie numérique peut être un outil très puissant d’autonomisation, grâce à l’entrepreneuriat numérique, bien sûr, mais aussi parce qu’il donne accès à des domaines d’activité beaucoup plus vastes, et fournit aux individus des possibilités d’accroître leur visibilité, leur influence et leur participation. Mais, parce que ces nouveaux horizons s’ouvrent de manières très diverses, à des rythmes différents, dans des contextes variés et en induisant différents types de rétroaction ou d’effets secondaires (positifs ou négatifs), la mise en œuvre d’interactions multi-composantes est en effet cruciale. Et ce que nous avons personnellement appris de cette expérience – et toutes les participantes à cette année d’échanges et d’interactions y souscriraient certainement –, c’est que cela peut bel et bien être extrêmement efficace.
Ainsi, un premier message concernant la mise en place de ce multipartisme, c’est que ce qui est réellement nécessaire, ce n’est pas la représentativité en tant que telle, mais avant tout l’expertise. Et personne n’a une expertise universelle ! Or, dans la mesure où l’économie numérique est extrêmement pervasive, il est inévitable qu’elle soulève des problèmes dans toutes sortes de domaines et qu’elle nécessite un type d’expertise qui n’aurait peut-être pas été initialement anticipée. Un exemple intéressant est la manière dont l’IA s’est soudainement avérée développer des biais de genre très marqués dans des contextes particuliers. Ainsi, vous ne voulez pas rassembler des gens pour pouvoir dire : « Regardez, nous sommes très respectueux de tous et très inclusifs ». Vous voulez simplement rassembler tous ceux qui peuvent effectivement apporter une contribution, et faire percevoir aux autres ce qu’ils ne percevraient pas par eux-mêmes, ou leur faire prendre en compte ce à quoi ils n’auraient pas spontanément pensé. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’inclure différents types d’acteurs. Dans le cas du W20, les déléguées ne viennent pas seulement de pays différents : elles ont des profils et évoluent dans des contextes différents : zones rurales, société civile, militants des droits des femmes, entrepreneurs, associations locales, ONGs, etc. (Et bien sûr, même s’il s’agit des principales économies du monde, la situation peut être très différente en ce qui concerne la position des femmes, suivant que vous êtes en Allemagne, au Canada, au Japon, en Inde, en Argentine ou en Arabie Saoudite…)
Quoi qu’il en soit, pour en revenir au processus lui-même, il s’est déroulé à travers une série de réunions en ligne, avec des webinaires, des partages d’expérience, des échanges de documents et d’informations, etc. Quatre domaines ont été examinés séparément (avec des corrélations, bien sûr) : l’inclusion dans le monde du travail, l’inclusion financière, l’inclusion numérique, et un dernier aspect sur lequel les responsables argentines ont souhaité se pencher plus particulièrement cette année : les questions relatives aux femmes dans les milieux ruraux.
En tant qu’association particulièrement active dans l’écosystème numérique, nous avons bien sûr contribué de manière plus spécifique au groupe de travail portant sur l’Inclusion numérique, ainsi que sur les questions relatives à l’éducation. Outre les interactions en ligne, chacun de ces groupes de travail a tenu une réunion physique sous la forme d’un atelier, chacun dans un pays différent (dans le cas l’Inclusion numérique, ce fut en fait à Paris), au cours duquel un rapport a été élaboré et validé. Enfin, 65 délégués ont pu se rencontrer en personne lors du Sommet du W20 à Buenos Aires le mois dernier, où le communiqué officiel a été finalisé et approuvé, avec 15 recommandations, dont 3 axées sur l’inclusion numérique. Ce fut à nouveau une expérience intéressante en ce qui concerne la mise en œuvre générale de ce type d’interactions multi-composantes.
Nous savons tous qu’écrire un Communiqué officiel n’est jamais chose facile, car il convient au bout du compte de se mettre d’accord sur des phrases réelles et définitives. Mais dans le cas des groupes d’engagement du G20 ou du G7, il ne s’agit pas d’une question politique ou diplomatique (cet aspect est laissé au vrai sommet entre Chefs d’États). Il s’agit de trouver des formulations appropriées pour des recommandations qui ne doivent pas simplement « convenir » à tous, mais bien être efficaces de manière globale : c’est là le point essentiel ! (Et être efficace signifie avoir un sens dans toutes sortes d’environnements, et aussi ne pas encourir le risque d’un obstacle rédhibitoire, qui aurait échappé si l’on n’avait pas disposé de la perspective globale offerte par l’ensemble des parties prenantes.) Mais cela nécessite de véritables interactions, dans la durée, pour se familiariser avec la problématique des uns et des autres, et acquérir des connaissances et une expertise plus larges, à intégrer à nos propres points de vue et préoccupations.
C’est donc un autre message important : nous avons besoin de temps pour être efficaces. Et nous devons bâtir une communauté. C’est d’ailleurs l’une des préoccupations importantes des argentines qui ont dirigé le W20 cette année : permettre que le mouvement se poursuive et prolonger l’intense activité qui s’est déroulée à cette occasion dans le cadre d’un processus à plus long terme, soutenu par une communauté solide et efficace. Pour cela, nous avons besoin d’outils adéquats : une plate-forme (notamment une plate-forme numérique), un cadre approprié, fluide et réactif, ni trop organisé ni trop dispersé, ainsi que des ressources financières !
Les différents États et gouvernements ne doivent pas encadrer les travaux et les interactions, mais doivent fournir un minimum de ressources afin que ces travaux et ces interactions puissent effectivement se produire, se développer et aboutir à des résultats concrets.
L’exemple de la communauté du W20 peut être un très bon point de départ. Mais il y a la question de la continuité d’une année à la suivante.
Dans le cas du W20, une part de l’héritage se transmet depuis la création du W20 au cours de la présidence turque, et il y aura d’ailleurs la semaine prochaine un meeting à Tokyo, à l’ambassade d’Argentine, pour la remise de conclusions du “W20 Argentine” et le coup d’envoi du “W20 Japon”. Mais nous avons assurément besoin d’un cadre davantage stabilisé pour cette dynamique. Nous pensons qu’il est également de la responsabilité des gouvernements du G7 et du G20 d’assurer une certaine forme de continuité. Dans l’intérêt de tous. Il faut notamment garder à l’esprit que les différentes parties prenantes n’ont travaillé jusqu’à présent qu’avec leurs seules ressources propres, et nous savons malheureusement qu’il y a des limites à ce type de fonctionnement. De plus, cela engendre un biais direct et un certain déséquilibre entre les différents types de parties prenantes (en fonction des ressources qu’elles sont capables de mettre en œuvre, à court ou à long terme), ce qui est bien sûr préjudiciable au principe même de cette approche multi-composantes.
Enfin, pour en revenir au Numérique, #JamaisSansElles a bien sûr plusieurs idées et propositions à faire valoir, mais ce n’est pas le lieu pour en discuter. D’un point de vue général, nous pensons qu’une perspective d’équilibre et d’égalité entre les sexes doit être adoptée dans tous les domaines, et que la mixité doit être garantie à tous les niveaux de réflexion, de prise de décision et d’action.
Assurément, ce point de vue est de plus en plus largement partagé, en particulier dans l’écosystème numérique. Il y a quelques mois, #JamaisSansElles a co-élaboré avec Microsoft France une Charte spécifique très contraignante. Nous avons également annoncé lundi dernier le lancement d’une Charte destinée aux organisations de gouvernance de l’Internet, aux think tanks et aux organes de décision. Les premiers signataires en sont ISOC-France, Reporters Sans Frontières (RSF) et Renaissance Numérique, et nous invitons toutes les organisations de gouvernance de l’internet à la signer de même.
Cela fait également partie de l’approche multi-composantes, en ce sens que des actions et des engagements peuvent bel et bien émerger de la société civile et des acteurs économiques, et fournir une expérience qui peut ensuite être partagée, transposée ou adaptée ailleurs. L’Éducation offre bien sûr un autre exemple important, essentiel pour l’économie numérique. Les écoles numériques innovantes ont récemment suscité un grand intérêt en France, pour leur flexibilité et leur capacité à cibler des étudiants en échec scolaire, mal adaptés au système éducatif traditionnel mais capables de réagir de manière très positive aux pédagogies innovantes. Or de telles Écoles peuvent être implantées localement, dans des zones défavorisés, et changer véritablement la donne.
Pour terminer, gardons à l’esprit que tous ces efforts n’ont de sens que dans la perspective d’un monde plus éthique, pacifié, plus équitable et plus inclusif. La technologie est ce qu’elle est, mais la révolution numérique doit être humaniste, et, comme nous le croyons fortement à #JamaisSansElles, le féminisme est un humanisme !
1er meeting des représentants des gouvernements ?????????? sur l'articulation #G7/#G20, la continuité entre présidences et la facilitation des contributions des différents acteurs du numérique et groupes d'engagements. #JamaisSansElles #DigitalEconomy #W20 #Stakeholders #IGF2018 pic.twitter.com/JOfAd0gvCZ
— JamaisSansElles (@JamaisSansElles) November 14, 2018
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