Troisième numéro de la série de #JamaisSansElles donnant la parole à des rôles modèles féminins et masculins. Sincères et inspirants, ils reviennent sur leur parcours et partagent leurs conseils destinés à celles et ceux qui veulent suivre leur trace.
Muriel Domenach est diplomate, ancienne élève de Sciences Po et de l’ENA. Elle a été Consule générale de France à Istanbul pendant 3 ans, puis, aussi pendant 3 ans, Secrétaire générale du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR).
Aujourd’hui, elle est Ambassadrice, Représentante Permanente de la France au Conseil de l’Atlantique Nord (OTAN). Elle est également membre du conseil féminin de #JamaisSansElles.
Texte de la vidéo :
Bonjour, je suis Muriel Domenach, je suis Ambassadrice de France à l’OTAN.
J’ai eu un parcours à la fois classique pour les hauts fonctionnaires, et dans différents ministères qui traitent de sécurité. Classique parce que je suis passée de Sciences Po à l’ENA avec le Collège d’Europe à Bruges, qui forme les futurs fonctionnaires européens. J’ai intégré le ministère de la Défense, puis le ministère des Affaires étrangères où j’ai développé une compétence dans les affaires de sécurité. J’ai été en poste déjà à l’OTAN auparavant, puis Consule générale à Istanbul. Puis je suis allée au ministère de l’Intérieur, pour les affaires de radicalisation que j’ai traitées, avant de rejoindre mon poste ici à l’OTAN.
Ce qui m’a donné l’envie de poursuivre cette carrière, c’est le goût de représenter la France. J’aime entendre la Marseillaise. J’aime représenter la France, faire comprendre la France, faire comprendre à la France la manière dont réagissent et agissent les autres pays, puis servir l’intérêt général. Je crois qu’un diplomate finalement, c’est ça, c’est d’abord un fonctionnaire qui sert l’intérêt général et pas des intérêts particuliers et puis qui représente la France, en faisant comprendre ce que pense et comment réagit ou agit le reste du monde.
Je pense que je n’ai pas perçu au début de ma carrière ce qu’on appelle le « plafond de verre » et qui existe et qui fait que les femmes se trouvent limitées dans l’accès à des responsabilités importantes. Finalement moi, je suis partie à la fois de bonnes études, j’ai fait l’ENA. Au début de ma carrière, il n’y avait pas énormément de femmes, mais quand même, 30% à l’ENA. Et plus je progresse, moins il y en a, et plus je me rends compte qu’être une femme, ce n’est évidemment pas quelque chose qu’on va vous reprocher, mais ça ne paraît pas naturel qu’une femme exerce des responsabilités.
Dans une réunion, quand vous êtes en désaccord, quand vous êtes une femme, que vous êtes la seule femme en réunion, et que vous devez exprimer votre désaccord, vous devez toujours faire très attention à la manière dont vous placez votre voix. De la même manière, lorsque vous êtes deux femmes en réunion et que vous êtes en désaccord avec une femme ou que vous discutez, vous voyez tout de suite dans le regard de beaucoup de vos collègues, « Ah ! Elles vont se crêper le chignon ! ». Donc en fait, dans un monde qui est celui de la sécurité, où il y a moins de femmes surtout à des postes de responsabilités, on se trouve souvent confronté à cette espèce d’a priori. Ce n’est pas naturel. Il n’y a pas d’hostilité, mais ce n’est pas naturel. Ce sont des choses qu’on vit actuellement, il arrive encore de commencer une réunion d’un comité de direction où vous êtes la seule femme, en disant « Bonjour messieurs ». Hashtag #2020 !
Quels sont les gens qui m’inspirent ?
Simone Veil. Comme beaucoup dans notre génération, c’est vraiment une figure qui m’a portée et j’ai toujours son regard, à la fois voilé et volontaire, quand je me dis que c’est difficile, quand j’ai besoin de courage, je pense toujours à Simone Veil.
Ma mère, qui a conduit une carrière politique dans les années 70, 80, 90, à un moment où c’était encore plus difficile pour les femmes et, qui de façon intéressante, n’a pas voulu identifier le facteur genre comme un élément de limitation dans son parcours. Donc ce débat avec ma mère a été structurant. Et en même temps, elle m’a beaucoup portée dans l’exigence morale envers l’action publique. Et le fait de ne jamais se retrouver dans la situation où il faut soit se soumettre, soit se démettre. Ne jamais humilier, ne jamais se laisser humilier et anticiper ce genre de situations.
Ma fille, parce que le naturel avec lequel elle dit « moi je veux tout ». Elle a huit ans, elle est petite, mais elle ne voit pas le problème, les difficultés à être une femme. Et je suis portée par l’audace qui est la sienne, qui lui paraît naturelle et après tout, effectivement, pourquoi se limiterait-elle ?
Je voudrais dire mon père et tous les hommes qui ont su développer une réflexion sur la mixité, la parité et une virilité qui ne soit pas masculiniste. Quand j’étais en poste en Turquie, je disais souvent pour provoquer les Turcs: « Le poète français Louis Aragon dit l’avenir de l’homme, c’est la femme. Moi je pense l’inverse. Moi je pense que l’avenir de la femme, c’est l’homme. » Évidemment, l’homme non masculiniste.
Le conseil que je peux donner c’est, Allez-y ! Ne confinez pas vos ambitions, ne vous auto-censurez pas, ne cherchez pas à vous conformer à un modèle un peu gris qui vous censurerait dans ce que vous avez à exprimer. Soyez vous-même. Comme disait Oscar Wilde, “de toute façon, les autres sont déjà pris.”
On apporte ce que l’on est et c’est l’intérêt de la mixité. Il ne s’agit pas seulement que les femmes soient mieux représentées, parce que c’est plus juste. Il s’agit qu’elles soient mieux représentées parce que c’est plus efficace.
La parité, comme disent les Anglais : « Just do it, not only because it’s right, but also because it’s smart. » (« Faites-le non seulement parce que c’est juste, mais aussi parce que c’est intelligent »). Donc c’est l’intérêt de mieux représenter les femmes, qui, encore une fois, sont la moitié de l’humanité. Ce n’est pas seulement une question d’égalité, de justice envers les femmes. C’est parce que ça apporte finalement une meilleure compréhension des sujets au sens étymologique de la compréhension, c’est-à-dire avoir une prise sur les choses de façon globale et pas partielle, voire partiale.
Je me suis occupée, on en a déjà parlé, de la prévention de la radicalisation. Un des sujets à côté desquels on est passé pendant un moment, c’est la question de la radicalisation des femmes. Et je pense que le déni dans lequel on a été sur la radicalisation des femmes, a un peu à voir avec le fait que dans les services de l’anti-terrorisme en général, qu’il s’agisse des services de sécurité ou de la justice antiterroriste, il y avait, à un certain moment, essentiellement des hommes. Donc, je crois qu’on voit mieux et on comprend mieux, au sens étymologique des choses, quand on a un spectre qui inclut les femmes. Et ça va au-delà des femmes, c’est toute la problématique de la diversité. Il ne s’agit pas que chacun représente chacun. Je pense que les hommes peuvent s’exprimer en faveur des droits des femmes et des femmes doivent défendre une approche universaliste. Je ne dirais pas que seuls les juifs doivent lutter contre l’antisémitisme, seuls les gays doivent lutter contre l’homophobie, au contraire. Je suis vraiment pour une approche universaliste. Mais en revanche, on ne peut pas prétendre non plus à l’universalisme et à une bonne compréhension et efficacité en restant dans l’entre-soi. Et donc sortir de l’entre-soi, c’est l’intérêt général. Et pour moi, #JamaisSansElles porte ce combat d’intérêt général, d’efficacité dans l’universalisme.
J’ai rejoint #JamaisSansElles tout simplement parce qu’au fur et à mesure de mon parcours, je me suis rendu compte que je me retrouvais dans des situations où j’étais « sans elles », c’est-à-dire très souvent, j’étais la seule femme dans des réunions qui commencent par « Bien, bonjour messieurs » et donc il y a un besoin de meilleure représentativité des femmes. Non pas les femmes pour les femmes seulement, mais les femmes pour une meilleure efficacité avec les hommes. Et ce que j’apprécie dans le mouvement #JamaisSansElles, c’est justement son universalisme. Faire le pari que la représentation des femmes, c’est une cause d’intérêt général et que ce combat doit être livré avec les hommes, dans un esprit d’intérêt général et pas de confrontation.
Production : #JamaisSansElles, réalisation Sacha Quester-Séméon, interview réalisée par Natacha Quester-Séméon.
Laisser un commentaire