« Après vous ! » Discours de Tatiana F-Salomon, 4e journée #JamaisSansElles

Discours introductif de Tatiana F.-Salomon, présidente-fondatrice du mouvement #JamaisSansElles, lors de la 4e Journée #JamaisSansElles, le 4 mars 2025 au ministère de la Culture. Lors de cet événement 300 personnes ont pris part à cette journée-événement, parmi lesquelles une centaine de jeunes, lycéens et étudiants, venus de toute la France

La « Journée nationale #JamaisSansElles dans les collèges et lycées avec l’Éducation nationale » a pour objectif de développer une série d’actions en faveur de la mixité et de l’égalité dans tous les établissements d’enseignement du second degré.

Ministère de la Culture, 4 mars 2025

C’est un plaisir de vous retrouver ici, dans ce magnifique ministère de la Culture – chers amis, et tout particulièrement vous, les jeunes réunis pour vous engager personnellement autour d’actions concrètes, pour faire avancer les choses, loin du défaitisme ambiant.

Le Pôle junior de #JamaisSansElles est pour moi ce qu’il y a sans doute de plus important dans tout ce que nous faisons actuellement. Car rien n’est plus important que l’engagement, et dans cet engagement rien n’est plus important que la transmission. Pour moi, l’engagement humaniste a toujours été une passion, jamais synonyme d’obligation, encore moins de lassitude. Et c’est parce qu’il me semble qu’il en va de même pour vous que je vous le dis avec gratitude : merci de vous, vraiment, et merci d’être là !

« Éduquer ce n’est pas remplir un vase, c’est allumer un feu », dit le poète Yeats.

J’ai toujours pensé que l’éducation ne consistait pas seulement à instruire, mais d’une part, à donner à celui que l’on élève « des racines et des ailes » (comme dit le proverbe juive), et d’autre part, et en fait avant tout, à donner à celui qui est éduqué le sens de l’altérité.

La beauté sauvera le monde !

Que faut-il entendre par là ? Que l’humain commence avec le souci de l’autre.

Et que la grande sagesse de l’homme, comme le dit Lévinas, est donnée par la formule : « Après vous ». Cette formule de politesse devrait être, selon lui (et selon moi aussi), la plus belle définition de notre civilisation.

Pour commencer, je crois, avec Dostoïevski, que LA BEAUTÉ – LA BONTÉ – SAUVERA LE MONDE.

Je crois à la nécessité fondamentale de l’éducation et de la culture. À la transmission du Vrai, du Bien et du Beau. Je crois aux forces de l’esprit, je crois à la Transcendance, a un Sans Nom infiniment plus grand que NOUS.

Pour ceux que ne me connaissent pas – au cas où vous auriez un peu de mal à suivre mon mode d’expression –, je dois dire que je suis ce qu’on appelle une neuro-atypique, câblée pour penser et percevoir le monde par arborescence, sans séparabilité. Cela signifie par exemple voir à la fois un être humain et le spermatozoïde et l’ovule d’où est issu son corps, l’arbre et la graine, tout ce qui est là – en même temps. Je suis à la fois très ancienne, comme une méta-banque de données, et en même temps comme un enfant qui n’a pas fini de naître.

Tout le monde croit que le fruit est l’essentiel de l’arbre quand, en réalité, c’est la graine.

 

Nietzsche, dont je soupçonne qu’il était lui aussi câblé comme cela, dit que : « Tout le monde croit que le fruit est l’essentiel de l’arbre quand, en réalité, c’est la graine. »

En effet, je dirais que le fruit est la forme finissante du cycle de la vie de l’arbre, comme la graine en est la forme initiale. Je ne vous dis pas ça pour parler de moi ou de mon égo, mais pour vous dire comment est née l’idée d’un Pôle junior de #JamaisSansElles, pour assurer la transmission du savoir, des connaissances que portent les vieux fruits, vers les jeunes graines, et des jeunes graines vers de plus jeunes graines encore.

Il y a de nombreuses menaces qui pèsent actuellement sur l’humanité. Il y en a toujours eu, et il y en aura toujours. Je ne veux pas faire du catastrophisme, car je suis fondamentalement confiante, et dans LA VIE, et dans les capacités humaines. Mais le changement de mentalités, le changement de paradigme qui balaye le monde depuis quelques années, fait que nous ne pouvons plus continuer à discuter à l’ancienne, comme si de rien n’était ! Il suffit de penser à la réalité quantique, par exemple, ou à l’intelligence artificielle, pour prendre la mesure de ce bouleversement.

Pour une large part, l’ère nouvelle dans laquelle nous entrons est une ère de l’immatériel. Elle émerge à peine, mais nous pouvons tous constater le chamboulement – parfois le Chaos – que cela entraîne. Nous sommes dans un entre-deux, en quelque sorte. Ce qui était n’est plus ; ce qui va être n’est pas encore.

Mais la bascule est exponentielle : avant-hier, on mesurait en coudées, hier en km, aujourd’hui en années-lumière…

J’ai évoqué la Mécanique quantique, qui nous révèle un univers où ce que nous considérions comme des réalités fondamentales se dissout comme sel dans l’eau. Quant aux « grands modèles de langages » et à l’IA générative, ils dépassent déjà – et de loin ! – l’imagination la plus débridée. Tout ou presque doit être remis en question – de la science aux arts, en passant par l’humanisme lui-même : qu’est-ce que l’humain ?

Dans cet univers en expansion – pas seulement matériel ! –, nous devons construire à partir de bases entièrement nouvelles.

Car notre ancien système de références se trouve confronté à des défis inimaginables. Tous les types d’ordre et de perception du monde sur lesquels l’humanité s’est développée au cours des derniers siècles doivent être redessinés et refondés.

Car au fond, il s’agit avant tout d’une évolution des consciences.

Comment faire ?

Comme dit Nietzsche, “il nous faut accueillir, porter un chaos en soi, si nous voulons accoucher d’une étoile qui danse !”

Votre génération se trouve face à un défi immense : celui de faire du neuf avec du neuf !

 

Votre génération, chers juniors, et celle qui vous suivra, chers collégiens et lycéens, se trouvent face à un défi immense, mais aussi merveilleux, même s’il est quelque fois effrayant : celui de faire du neuf avec du neuf ! De faire émerger un nouveau paradigme, et de concevoir et concrétiser – non pas un autre monde – mais un monde nouveau, qualitativement différent, un peu comme en musique lorsque on passe d’une octave à l’octave supérieure.

En d’autres termes, il ne s’agit pas de détruire, mais d’opérer une transmutation : de changer le plomb en or.

Alors, en attendant de trouver les mots pour dire ce nouveau paradigme qui émerge, j’aimerais brièvement revenir à notre espèce humaine, telle que je la vois.

L’espèce humaine à laquelle nous appartenons, est dans sa totalité un unique organisme, une seule famille. Et cet organisme ressemble de multiples façons à d’autres formes de vie organisées. Aux plantes, par exemple. Lors de mes études d’architecture, j’ai eu un maître jardinier brésilien qui s’appelait Burle Marx. Il a construit d’innombrables jardins extraordinaires à travers le monde. Il nous apprenait que pour être un véritable jardinier, en plus de la connaissance de toutes les caractéristiques des plantes, de leur valeur nutritive, médicale et esthétique, il fallait aussi et avant tout connaître et prendre soin de la terre, l’entretenir !

J’aime à penser que, tels des jardiniers, nous avons comme tâche – et j’ajouterais comme responsabilité – non seulement de semer des graines, mais aussi de veiller à ce qu’elles arrivent à la floraison et continuent de produire des fruits, qui à leur tour produiront d’autres graines, etc. Non seulement des graines qui deviennent de la nourriture pour les corps, mais aussi des graines qui deviennent de la nourriture pour l’esprit ! Si nous négligeons et exploitons la Terre et ses ressources, si nous cessons de l’entretenir et de la cultiver, nous finirons non seulement par manquer de nourriture pour nos corps, mais aussi de nourriture pour notre esprit, notre âme. Ce ne serait rien d’autre qu’éteindre les lumières, que l’Humanité a tant souffert pour faire éclore !

Or maintenant… maintenant nous savons que même les civilisations sont mortelles !

Ce que j’aimerais – le désir profond de mon cœur, de notre cœur, au sein de #JamaisSansElles –, c’est allumer dans votre cœur à vous, le désir de l’humanité, le désir de la culture, de la grande connaissance, le désir d’entretenir la Terre et de faire naître de nouveaux jardins, ensemble, tous ensemble !

J’ai vécu la fin de mon adolescence dans un pays en proie à une dictature militaire féroce. Quelques vieux fruits d’alors ont appris à la jeune pousse que j’étais – remplie de sève tout de même (rires) – cette chanson, dont je partage avec vous un extrait :

Viens, allons-y !
Car espérer, ce n’est pas savoir.
Celui qui sait fait advenir le temps présent.
N’attends pas que cela se produise !

Je crois qu’il est – aussi – urgent de transmettre aux générations actuelles et futures le goût de la réussite, l’élan de l’enthousiasme, le courage, l’audace, le goût de contribuer à cet effort essentiel, pour ne pas dire vital, qui consiste à faire émerger un nouveau monde. Et je sais que toutes les entreprises qui nous ont rejoint – et que je remercie vivement – partagent ce sentiment.

Vous voyez, je suis Présidente de #JamaisSansElles, mais à aucun moment je n’ai parlé d’hommes et de femmes. Pourquoi ? Parce que l’égalité doit aller de soi (même si c’est loin d’être toujours le cas, bien sûr, sinon nous n’aurions pas besoin d’être ici). Parce que je crois en l’humanité une et unie. Rien, dans les défis qui nous attendent et que j’ai évoqués n’a quoi que ce soit à voir avec le fait que vous soyez un homme ou une femme. Qu’est-ce que ça peut bien faire ? Ne vous limitez jamais, au prétexte d’on ne sait quelle habitude culturelle, injonction normative ou pression sociale. Et ne vous laissez jamais limiter non plus ! Nous sommes des êtres humains. Libres. Toujours en mouvement. L’évolution n’est pas terminée ! Elle est en nous !

Paris, le 4 mars.

 

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